lundi 5 décembre 2016

L'Italie s'invite au Cercle de lecture


Pour évoquer l’Italie en chansons, choisirons-nous Paolo Conte, qui associe comme personne sa langue magnifique à la musique de jazz ?  cliquez ici,   ou Serge Reggiani, parfait exemple de ce que l’immigration nous a offert ?  cliquez ici  Pas d’hésitation : prenons les deux !




*Le plus et le moins, d’Erri De Luca
Ed. Gallimard – 2016

Ischia, Naples, Turin, Paris, les Dolomites – les indications géographiques qui parcourent les trente-sept textes réunis ici sont autant de points de repère biographiques de la vie d’Erri De Luca, dont on sait combien elle a été aventureuse. La liberté rencontrée dans la nature tout autant que dans les luttes politiques, la fraternité entre travailleurs et le partage avec l’étranger, la lecture de la Bible et la figure de l’ange, voilà quelques-uns des motifs que tisse l’écrivain italien dans ce livre inclassable et iconoclaste, qui éclaire l’œuvre et le parcours d’un des auteurs les plus singuliers de notre temps.

J’ai beaucoup aimé la grande variété de ces textes très personnels. Comme toujours, le style est puissant, et c’est avec beaucoup de pudeur et de sensibilité que De Lucca sait exprimer ses propres rencontres avec l’autorité abusive, l’engagement militant, la solidarité ouvrière… ou tout simplement la cuisine italienne, à laquelle il rend un bien bel hommage. – CP


Le contraire de un, par Erri De Luca
Ed. Gallimard – 2005

Ce court recueil de nouvelles, ou plutôt de textes autobiographiques, est divisé en deux parties distinctes : les premiers récits sont consacrés aux combats et guérillas de jeunesse d’Erri De Luca, quand avec la génération de 68, (un peu plus tard en Italie), il se révoltait contre l'ordre établi. Manifestations, arrestations, amours et rencontres, c'est toute une époque, avec ses luttes parfois discutables, qui revit sous nos yeux.  Dans la seconde partie, plus poétique,  De Luca excelle à suggérer les ambiances maritimes de son adolescence à Ischia, les rudes courses en montagne où s'exprime son sens du défi et de l'exigence vis à vis de soi-même, mais aussi les fièvres et les amours croisées au long de sa vie. 

La ressemblance avec « Le plus et le moins » se passe évidemment de commentaires. Dans ce petit recueil qui lui est antérieur d’une bonne dizaine d’années, Erri De Luca manifeste la même sensibilité poétique et le même talent d’écriture (chapeau à la traductrice) pour décrire les moments les plus précieux qui ponctuèrent son existence. Il décrit comme personne ce que chacun, tout compte fait, ne peut qu’éprouver dans la solitude.  C’est vraiment un très grand auteur. – MCH


*Eldorado de Laurent Gaudé
Ed. Actes sud, 2006

Le commandant Salvatore Piracci a pour mission de recueillir au bord de sa frégate les migrants perdus en mer, venus d’Afrique ou du Moyen–Orient, et de les transférer aux autorités italiennes de Lampedusa ou Catane qui les mettent dans des camps. La rencontre avec une femme syrienne, dont le bébé est mort de soif pendant la traversée, bouleverse sa vie. Elle lui demande de lui procurer une arme pour se venger du passeur qui a provoqué la mort de son enfant. Il la lui procure. Dégoûté par la politique de son pays et de l’Europe, il refuse de continuer à mener la vie qui est la sienne. Il abandonne tout et cherche, lui aussi, son Eldorado, en Afrique, où il ne le trouve pas…

C’est un sujet d’actualité, bien sûr, qui  montre bien l’inhumanité de la situation des migrants et la culpabilité des Occidentaux face au problème qu’ils posent , traité avec beaucoup de sensibilité. Mais la fin est très déprimante. Il n’y a pas d’issue pour le personnage du commandant, ni d’un côté ni de l’autre de la Méditerranée… BF


*Un garçon d’Italie de Philippe Besson
Ed. Pocket, 2005

Magnifique narration à 3 voix. Luca, Anna et Léo se racontent.
Luca est retrouvé mort sur les rives de l’Arno à Florence. Une mort bien mystérieuse : assassinat ? suicide ? ou accident ? Peu à peu, au fil de l’enquête, chacun se pose des questions sur les moments passés ensemble avant le drame. Anna, la petite amie de Luca, apprend qu’il avait un amant alors qu’ils filaient tous deux le parfait amour. Léo, l’amant et prostitué, faisait des passes à la sauvette dans les toilettes de la gare pour se nourrir, mais ses rapports amoureux avec Luca redonnaient un sens à sa vie. Luca, la victime, se demande comment vont réagir ses deux amours : Anna, lorsqu’elle va découvrir la vérité sur son homosexualité, et Léo. Que va-t-il devenir sans lui ?

Une histoire noire adoucie par un magnifique décor florentin décrit par les personnages tout au long du roman. A lire absolument... delizioso! DM






*La couleur du soleil, de Andrea Camilleri
Ed. Le livre de Poche - 2013
Et si le Caravage, grand peintre italien à l'existence tumultueuse, avait laissé un journal ? Camilleri, écrivain brillant et érudit, a été mystérieusement guidé vers la découverte de ce précieux manuscrit. Ces pages nous replongent dans un XVIe siècle finissant, nous donnant de nouvelles clés pour comprendre les foucades de l'homme et les prouesses de l'artiste.
On vit ici de l'intérieur le dernier voyage aventureux du peintre fuyant la justice des chevaliers de Malte. Avec brio, l'écrivain rompu au genre historique imagine pour ce génie du clair-obscur une voix d'une authenticité confondante.
Le procédé adopté par l’auteur est original, qui fait alterner sa propre aventure rocambolesque et sa transcription des fragments d’un document rare et improbable. Que dire de l’hypothèse selon laquelle le goût prononcé du peintre pour le clair-obscur et pour les atmosphères sombres serait à mettre au compte d’une altération de sa vision ?
Ce court roman, presque une nouvelle, a fait l’objet d’une commande à l'occasion d'une exposition Caravage en 2006 à Düsseldorf. J’ai trouvé beaucoup de charme à la langue imagée du Caravage, loin de la langue littéraire. Voilà une lecture plaisir que je recommande – GA





*Sens dessus dessous, de Milena Agus
Ed. Liana Lévi - 2016
Les faits. Juste les faits. C'est à ça que la narratrice, jeune étudiante, voudrait s'en tenir à travers les allées et venues des voisins de l'immeuble où elle vit à Cagliari. Un immeuble biface. Côté port, les beaux appartements résidentiels. Côté rue, les appartements modestes. Tout en haut les Johnson, qui occupent la totalité du dernier étage, surnommé Buckingham Palace par certains. Un lieu qui fait rêver, d'autant que le propriétaire, monsieur Johnson, y joue du violon... Tout en bas Anna,  la « dame du dessous », qui tire le diable par la queue.  Chacun avec son grain de folie. Ils se croisent, échangent leurs rôles. Pour affronter les turbulences de la vie et les amours compliquées, ils montent et descendent l'escalier qui les sépare. Difficile donc de démêler les faits, juste les faits, dans ce monde qui est sens dessus dessous.

Un tourbillon de vie, beaucoup de chaleur humaine. Un livre sympathique, qui n’est pas sans rappeler « L’immeuble Yakoubian » de l’Egyptien Alaa al-Aswany, sans toutefois l’égaler - GA



*Come prima, par Alfred
Ed. Delcourt - 2013

Au début des années 60, deux frères, Fabio et Giovanni, sillonnent les routes au volant d’une Fiat 500 pour rapatrier les cendres de leur père dans leur Italie natale. Au début, la cohabitation est loin d’être facile : Giovanni, qui est l’ainé et boxe pourgagner sa vie, a coupé les ponts bien des années auparavant, après avoir rejoint les milices fascistes. Quant à Fabio, c’est surtout pour obtenir sa part d’héritage qu’il consent à s’embarquer dans un tel périple. Au fil de la route qui les ramène vers le passé, les masques tombent, les blessures et les regrets apparaissent et le portrait du père se recompose peu à peu.  
Dans cet album –le premier où il signe à la fois les textes et les dessins- Albert rend un bel hommage au cinéma italien des années 60, dont il sait reproduire l’inimitable talent pour la comédie sociale.

L’histoire elle-même est chargée d’émotion, et on ne peut qu’éprouver de l’empathie pour les personnages. Mais j’ai été aussi été très sensible aux qualités graphiques de cette BD primée au festival d’Angoulême. Albert utilise fort à propos deux styles différents pour évoquer le passé et le présent. Et à lui seul, son travail de coloriste sait faire exploser sur le papier l’éclatante lumière de l’Italie. C’est une belle réussite. – SV



*Corto MALTESE – Fable de Venise, par Hugo Pratt
Ed. Casterman - 1981
Comme son titre l’indique, cette 25e aventure de Corto Maltese a pour théâtre la ville natale de Corto et de son auteur. Elle se déroule entre le 10 et le 25 Avril 1921, c’est-à-dire en pleine montée du fascisme. Corto est alors de retour à Venise pour y chercher une émeraude légendaire : la Clavicule de Salomon. Tous les ingrédients d’un roman d’aventure sont là : un trésor fabuleux, comme il se doit protégé par une énigme, des femmes mystérieuses, des aristocrates déchus, les « Chemises noires », des loges maçonniques, des sociétés secrètes et les lieux magiques de Venise. Sous la surveillance du dieu Abraxas, des loges maçonniques et des milices fascistes, la fable se déroule dans le décor de la ville. Car malgré l’ancrage historique, c’est bien d’une fable qu’il s’agit, et pas tout à fait d’une aventure. Elle se termine sur l’Escalier des Rencontres à minuit, première heure de la saint Marc, Patron de Venise. Comme dans toute bonne pièce de théâtre, tous les acteurs viennent alors saluer le lecteur, présentés tour à tour par Corto. La Clavicule de Salomon elle-même fera son apparition, avant que Corto ne demande à quitter cette aventure pour une autre, dans un ailleurs encore inconnu.
Paru en France en 1981, cet album est l’occasion pour Hugo Pratt d’évoquer ses souvenirs de jeunesse, un monde qui n'existe plus et une aventure qui finit dans un rêve. « C’est le témoignage de mon amour pour Venise. » disait-il[]. Toujours en noir et blanc, le découpage et le dessin mettent en évidence l’architecture et la scénographie par le jeu des ombres, qui est une des forces de l’auteur. Sa mémoire et son amour de Venise emportent le lecteur de cette fable onirique comme dans un conte de fée.

Plus intimiste que les autres aventures de Corto Maltese cette aventure nous fait entre dans le monde de la jeunesse de Pratt, la Venise des cours cachées, un monde de rêves et de mystères, rempli d’ésotérisme, à la croisée des mondes orthodoxe, byzantin, arménien et néoplatonicien.– MM



Les Ritals, par François Cavanna
Ed. Belfond - 1978

Nogent-sur-Marne, au cours des années 1930, François, fils d'un maçon italien et d'une mère morvandelle, grandit dans un milieu d'émigrés. Pas toujours bien vus par les Français dits d'origine, ces « Ritals » sont à la recherche de tout travail pouvant rapporter quelques sous. Mais fier de son savoir-faire, le père de François garde sa dignité (« Tu vois, fiston, tout ce qui est beau en Italie, ou ailleurs dans le monde, ce sont les Italiens, des artistes qui ont bâti ces églises, ces monuments, depuis des siècles. »). Les Ritals, c’est toute la jeunesse de Cavanna, racontée avec truculence dans une langue verte, imagée, mais jamais vulgaire, qui donne à sa lecture un plaisir absolu.

Comment parler de l’Italie sans évoquer ce livre si chaleureux, qui fait aujourd’hui figure de classique ? On ne peut oublier Cavanna, la boîte à outils de son père et son mètre pliant tout rafistolé, mais pourtant efficace.  Et le plaisir est identique dans « Les Ruskoffs », extérieur à notre thème d’aujourd’hui. – FB



Je vous écris d’Italie, par Michel Déon
Ed. Gallimard – 1986

Au cours de l’été 1949, un jeune homme à l'enthousiasme stendhalien, Jacques Sauvage, historien de son état, retourne dans l'Italie qu'il a brièvement traversée avec sa section de tirailleurs en 1945. De tous ses souvenirs encore frais, le plus lancinant et le plus émerveillé est celui d'une halte à Varela, bourgade fortifiée dans une vallée perdue au cœur de l'Ombrie. En historien il s'intéresse au passé de Varela, fondée au XVIe siècle par un condottiere ; en ancien combattant, il aimerait tirer au clair un des mystères de sa brève campagne d'Italie ; en homme, il désire revoir celle qui l'a hébergé pendant son séjour, la Contessina Beatrice de Varela, dernière du nom, au beau et noble visage. À peine arrivé, il est brusquement plongé dans la vie cachée de Varela et de sa vallée, dont les mœurs n'ont pas bougé en trois siècles. La clé de l'énigme est une fête païenne à laquelle tous les habitants se préparent en secret.

Evidemment, c’est un livre qui commence à dater. Mais il n’en reste pas moins très attachant. Tout y évoque la chaleur humaine de ce pays si particulier qu’est l’Italie, à tel point qu’on pourrait presque oublier les souffrances de l’immédiat après-guerre. L’écriture de Michel Déon est ici d’une rare élégance, et son roman est empreint d’un bel optimisme. – MTL



Je n’ai pas peur, par Niccolò Ammaniti
Ed. Le Livre de poche – 2004

Dans la chaleur torride de l’été 1978, une bande d’enfants s’éloignent à bicyclette de leur hameau pour battre la campagne du mezzo giorno. A la suite d’un gage, Michele doit explorer une maison abandonnée. Et au fond d’un trou, il découvre un enfant de son âge, enchaîné et soumis à la plus horrible des captivités. Ballotté entre les angoisses de ses neuf ans et ce lourd secret, il va découvrir la terrible vérité des adultes. Car les monstres qui peuplent son imaginaire existent bel et bien, même si leur réalité revêt une apparence des plus inattendues…

Ce court roman a fait connaître dans le monde entier Niccolò Ammaniti, principal écrivain de l’école littéraire dite des «cannibales» . A la fois âpre, violent et lumineux, il m’a fait souvent penser au néo-réalisme italien, même s’il est ancré dans la violence beaucoup plus récente des «années de plomb». Il fait partie des livres qu’on dévore d’une traite. Tout-à-fait à la portée, soit dit en passant, d’un public pré-adolescent souvent peu enclin à  la lecture. – SW



Comme Dieu le veut, par Niccolò Ammaniti
Ed. Grasset – 2008

Rino Zena et son fils Cristiano vivent dans la misère aux abords d’une «zone d’activités » déprimante en diable. Skinhead, nazi, alcoolique et violent, Rino a tout pour nous déplaire. Mais son fils et lui sont unis par un amour viscéral qui résiste à tout, et qui finit par forcer le respect. Rino n’a que deux amis, tout aussi chômeurs que lui et éternellement voués aux petits boulots : le déjanté Quattro Formaggi, qui doit son surnom à un goût immodéré pour la pizza aux quatre fromages, et le déchu Danilo, brisé par un drame familial. C’est Danilo qui les convaincra de fracasser une billetterie bancaire dans l’espoir fou d’échapper à la mouise.  Le coup est prévu au cours d’une nuit de tempête, sous une pluie diluvienne et des torrents de boue. Mais rien ne se passera comme prévu, pour le plus grand malheur de la jeune victime qui croisera leur chemin.


Plus noir, tu meurs ! Ce roman, qui a obtenu le prix Strega (équivalent du Goncourt), est aussi un réquisitoire contre la médiocrité d’une société vouée à une consommation abrutissante et au chacun pour soi. Malheur aux laissés pour compte ! Rino et ses deux amis sont les cousins des «affreux, sales et méchants» filmés par Ettore Scola. Mais ils ont aussi une dignité bien à eux, et suscitent même une certaine empathie. Cerise sur le gâteau : Ammaniti sait comme personne illuminer cette atroce noirceur par de nombreux traits d’humour à la fois grinçant et diablement efficace, dans la grande tradition des comédies sociales chères au cinéma italien. Bravissimo, Signore ! – SW





*Les titres précédés d’un astérisque sont disponibles à la bibliothèque.
Le prochain Cercle de Lecture se réunira le vendredi 6 janvier à 20h00

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire