mercredi 15 février 2017

Le Cercle de Lecture s’intéresse aux romans du terroir


«TERROIR n.m. 1. Terre considérée sous l’angle de la production ou d’une production agricole caractéristique. […] 2. Province, campagne, considérées sous le rapport de certaines habitudes spécifiques.» (Larousse). Ah bon. Donc, le terroir n’est pas exactement la campagne. Tant pis. Allons faire un tour dans celle-ci avec Bénabar   ICI




* Récits des friches et des bois, d’Henri Vincenot
Ed. Anne Carrière – 1997
Né en 1912 à Dijon, Henri Vincenot passe toutes ses vacances chez ses grands-parents à Commarin, petite commune bourguignonne où son grand-père lui enseigne la vie de la nature, la faune et la flore. Henri Vincenot écrira ses romans les plus connus à l’âge de la retraite.
Récits des friches et des bois est un recueil de nouvelles écrites entre 1936 et 1939, retrouvé par ses enfants après sa mort  en 1985. Ils les publieront en 1997 et sa fille Claudine en écrira la préface. Les 15 nouvelles qu’il regroupe parlent toutes de sa jeunesse rurale bourguignonne, à partir de 1930 (il avait alors 18 ans). Elles mettent en scène les thèmes de la nature et de la vie simple, telles que les aime ce Bourguignon fidèle à ses racines.

Certaines de ces nouvelles ont retenu davantage mon attention. Le vif-argent : surnom que lui donnait son arrière-grand-mère, dont il dit qu’elle sentait bon le linge propre et l’armoire – le téchon : surnom donné à l’homme qui accomplissait différentes tâches dans la campagne bourguignonne – la paulée : banquet de fin de vendanges, et enfin la joie de vivre : son chien Faraud raconte sa joie de vivre auprès de son maître. Un beau récit plein de tendresse. Pour les férus des romans du terroir, à lire absolument ! – DM


* Du côté des Bordes, d’Henri Vincenot
Ed. Anne Carrière – 1998
En Avril 1940, à la ferme bourguignonne de la Belle-Maria, le métayer Ernest attend désespérément le retour de son fils Jean, parti au front. En l'absence de celui-ci, le garçon de ferme François fait tourner l'exploitation avec l'aide du Vieux Vatican et de la jolie Sidonie. En mai, les combats atteignent Dijon. Aux convois de réfugiés succède l’Occupation allemande. Mais les saisons et les travaux des champs rythment immuablement le cours des événements.
Henri Vincenot n’a que 29 ans lorsque, dès 1941, il écrit cette chronique douce-amère d'un village de Bourgogne, qui ne sera publiée que 13 ans après sa mort. Douce parce que l'imprègne le parfum de la terre d'Auxois, entre Morvan et Côte des vins, où plongent ses racines. Amère parce que les hommes, en ces temps troublés, sont à la fois capables du meilleur et attirés par le pire. Dans ce tableau féroce, mais plein d'humour, des comportements humains, Vincenot dépeint avec une tendresse lucide la société rurale de l'époque et les contradictions nées de la «drôle de guerre».

Encore une publication posthume due aux enfants de Vincenot. J’ai particulièrement aimé ce roman, écrit quasiment en même temps que les événements qu’il relate. Il pose quantité de questions sur le bien et le mal, notamment avec le personnage d’Ernest, mû à la fois par la haine des Allemands et la volonté de leur plaire pour faire libérer son fils. On y sent une grande authenticité, encore accentuée par le langage de l’époque. – CP


Une si belle école, de Christian Signol
Ed. Albin Michel  - 2010

En 1954, Ornella rejoint son premier poste d’institutrice à Ségalières, entre la vallée du Lot et les monts d'Auvergne. A 20 ans, cette fille de maçon italien a une inébranlable foi dans son métier. Dans des conditions matérielles très difficiles, elle va se heurter à la rudesse des paysans qui ont besoin de leurs enfants pour le travail des terres, et qui souhaitent pour eux le Certificat d’études primaires, mais pas l'entrée en 6e. Mutée pour avoir défendu bec et ongles un enfant en détresse, elle va rejoindre un poste double. Ce sera la rencontre avec Pierre, qui s'occupe des «petits» alors qu’elle a en charge les «grands ». Amoureux, jeunes époux, puis parents, ils vivront tout au long de leur vie leur passion commune pour l'éducation et poursuivront en un demi-siècle d’histoire leur carrière au gré des réformes successives.

Tout ce qui concerne la vie professionnelle de ces deux enseignants est très bien documenté, ce qui fait le principal intérêt du roman. Mais la description de leur vie privée  déclenche peu d’émotions, tant les personnages manquent de subtilité et les situations sont attendues.  Christian Signol a écrit en 32 ans 37 romans qui se ressemblent tous et suivent peu ou prou toujours le même schéma narratif. N’est pas Vincenot qui veut… – CP




* La grande île, de Christian Signol
Ed.  Albin Michel – 2004

Au soir de sa vie, Bastien évoque l’enfance qui fut la sienne pendant les années 30, au bord de la Dordogne, où son père était un simple pêcheur. Loin du monde, toute la famille évolue alors dans un univers poétique et mystérieux, propice aux rêves, où la «grande île» divisant la rivière est  un  refuge secret pour les trois enfants. L'eau et la rivière sont un paradis qui les fait vivre et les enchante, jour après jour. Mais si la guerre elle-même ne parvient pas à en briser l'harmonie, tout se dissout pourtant peu à peu, sauf le souvenir du bonheur, de l'enfance éternelle. Tout cela aura une fin, et il ne fera pas bon s’éloigner de la terre des origines.

Je partage les réserves exprimées par Claudette sur Christian Signol. Certes, la lecture de ce roman n’est pas désagréable, mais il n’en reste pas grand-chose. Soyons gentils et considérons  que les souvenirs de Bastien sont magnifiés par le temps et ont transformé les événements de jadis en autant de chromos. Ici, les pères sont forts et taiseux, les mères perspicaces, les filles mystérieuses et les Gitans énigmatiques. Cela a le mérite d’éviter les surprises. Le dernier opus de Signol (Dans la paix des saisons) serait meilleur, à ce qu’on dit. Acceptons-en l’augure. – SW



Pigs in clover, de Simon Dawson
Ed. Orion – 2015

Ce récit, dont le titre pourrait approximativement se traduire par Comme un sanglier dans sa bauge ou Comme un coq en pâte, relate l’improbable reconversion de Simon et de son épouse Debbie. Lors d’une soirée passablement arrosée, ils ont décidé de quitter leur vie confortable d’agents immobiliers à Londres pour mener  dans le nord du Devon une existence de paysans comme on n’en fait plus depuis très-très longtemps. Simon raconte avec une bonne humeur inébranlable comment tous deux ont peu à peu fait l’apprentissage de la vie d’éleveurs à minuscule échelle, au milieu d’une cohorte de cochons intrépides, de poulets insupportables, d’oies vengeresses et de coqs obsédés sexuels.  Malgré les nombreux coups du sort, les accidents et la misère noire à laquelle le couple n’échappe que d’extrême justesse,  Simon ne se départit jamais d’un humour qui reste la principale arme secrète des sujets de Sa Gracieuse Majesté.
Dire que j’ai aimé ce livre (dont la lecture m’a été inspirée par une émission de télévision) relève de l’understatement cher aux Britanniques. C’est drôle de la première à la dernière ligne, sans pour autant rien occulter des drames rencontrés par le couple. Il n’est pas (encore ?) traduit en français. Avis aux éditeurs : j’adorerais m’y coller. You never can tell… – SW

Pour en savoir plus sur cette odyssée : http://www.simon-dawson.com/ . Sorry, it’s in English.



* La Vouivre, de Marcel Aymé
Ed. Gallimard – Première parution en 1943

En courant après une vipère qui le nargue, Arsène Muselier rencontre au bois celle qu'en patois jurassien on appelle la Vouivre, la Fille-aux-serpents, dont le front s'orne d'un rubis fabuleux qu'elle ne pose que pour se baigner. Malheur à ceux que tente le bijou : les serpents les dévorent. Arsène a vu le rubis, mais la baigneuse l'intéresse plus encore, ce qui séduit la Vouivre par la rareté du fait. Lui se montre prudent, car il craint pour son âme et, d'ailleurs, il aime Juliette Mindeur. La Vouivre pourchasse partout le récalcitrant. Le pays s'ameute et les convoitises s'allument, tandis qu'Arsène suit son petit bonhomme de chemin. Mais ce garçon réaliste est aussi un tendre et quand, après le trépas du fils Beuillat, la petite Belette est en danger, il brave sans hésiter l'armée des serpents.

On sait que l’auteur du Passe-muraille maniait comme personne l’alliance du fantastique et de la vie quotidienne. Ici, j’ai beaucoup aimé ce mélange de surnaturel  –inspiré par  la mythologie celtique– et de vie paysanne. C’est un conte, mais aussi un récit profondément ancré dans le terroir du Jura, dont était originaire Marcel Aymé. Quant à la galerie de personnages, elle est particulièrement savoureuse. – SV




Mémoires d’un paysan bas-breton, de Jean-Marie Déguignet
Ed. Arkae – 2008

Le destin de Jean-Marie Déguignet a tout d’un roman picaresque. Né en 1834 dans une très modeste famille bretonne "où presque personne ne sait lire ou même parler un mot de français", le petit vacher misérable apprend d’abord seul à lire et à écrire. Après s'être engagé dans l'armée, il prend part à presque toutes les campagnes de Napoléon III, de l'Italie au Mexique. De retour en Bretagne, il devient tour à tour agriculteur – ce qui lui donne l'occasion de rédiger un traité sur l'élevage des abeilles –, assureur, buraliste. Ruiné, il meurt en 1905 à l'hospice dans le plus grand dénuement, peu après avoir achevé la rédaction de ses mémoires, qui seraient restés oubliés sans la ténacité d'un éditeur breton. L'immense succès de ce livre déjà vendu à plus de 100 000 exemplaires dit assez qu'il n'est pas un simple témoignage sur le passé. Cet esprit original, – devenu anticlérical après avoir perdu la foi… à Jérusalem ! – y brosse un portrait sans concession d'une Bretagne prise entre ses superstitions presque païennes et l'omnipotence de l'Église.

J’ai été subjugué par ce livre, constitué des carnets rédigés dès l’âge de 6 ans par un étonnant autodidacte. Formé par une vie trépidante, Déguignet y fait preuve d’un esprit critique formidablement aiguisé, non seulement contre une Eglise sur laquelle il tire à boulets rouges, mais aussi contre les innombrables injustices sociales de son époque. Les personnages qu’il évoque sont si bien décrits qu’on a vraiment l’impression d’être avec eux. C’est remarquable. – FB




* Des grives aux loups, de Claude Michelet
Ed. Robert Laffont – 1979 
(Prix des Libraires en 1980. Adaptation pour la TV des deux premiers tomes en 1984)

La saga des Vialhe (4 tomes) se déroule à Saint-Libéral sur Diamond, un petit bourg fictif de Corrèze, pays d’élevage et d’agriculture.
Dans ce premier tome, Jean-Édouard règne en maître sur un domaine de 10 ha et sur sa famille. Trois enfants lui sont nés de son mariage avec Mathilde : Pierre-Édouard, Louise et Berthe. L’histoire se déroule des années 1899 à 1920, à l’aube d’un nouveau siècle et des nouvelles idées techniques et révolutionnaires, et à une époque marquée par la première guerre mondiale. Ainsi, Jean-Édouard profitera de la construction de la voie ferrée pour s’enrichir et s’agrandir ; Pierre-Édouard partira à la guerre ; Louise quittera sa famille, bannie par son père car elle voulait épouser un homme qui n’était pas de la terre ; Berthe, après des longues années passées sous le joug familial, quittera la maison au matin de ses 21 ans pour aller vivre à Paris.

Le livre se lit agréablement. La spécificité agricole du Limousin est sans doute mieux abordée dans le deuxième tome (je n’en ai lu que deux). Le déroulé est chronologique - un roman du terroir qui répond aux codes du genre, mais un roman bien écrit – GA



*La couleur du bon pain, de Gilbert Bordes
Ed. Robert Laffont – 2004
Grégory a seize ans. C'est un grand, beau et gentil garçon qui débarque chez ses grands-parents maternels dans un petit village de Corrèze, car sa mère est atteinte d'une grave maladie cardiaque qui ne tardera pas à l'emporter. Quand le village découvre que Grégory est métis, ce dernier doit faire face aux préjugés raciaux de tous... et surtout d'un grand-père qui n'a pas pardonné les écarts de sa fille. Il faudra toute la tendresse de la grand-mère, toute la bonne volonté de Grégory, malgré humiliation et obstacles familiaux, pour que le vieil homme arrive à voir en lui son digne héritier. Sur ce difficile chemin, le garçon n'aura pas été seul: il aura trouvé l'affection des plus généreux de son entourage et l'amour d'une jeune cousine qui se bat à ses côtés contre la bêtise des ignorants et des nantis.

Dans la catégorie «romans du terroir», Gilbert Bordes est un écrivain encore plus prolifique que Christian Signol, ce qui n’est pas peu dire. S’il empile les romans, il n’hésite pas non plus à accumuler les malheurs qui pleuvent sur ses personnages. Sans jamais les noyer, naturellement. Le tout est aussi riche en bons sentiments que pauvre en surprises. Mais bon, ça peut se lire. Dans le train, par exemple. – MCH




* Les ignorants, d’Etienne Davodeau
Ed. Futuropolis - 2011
 Cet album, qui a fait partie de la sélection officielle au Festival d’ Angoulême en 2012, présente les parcours croisés de deux amis, dont chacun souhaite faire découvrir à l'autre son métier et sa passion. Etienne Davodeau, dont les histoires sont toujours profondément ancrées dans le réel en profite pour mettre en scène ses confrères Jean-Pierre Gibrat, Marc-Antoine Mathieu et Emmanuel Guibert, mais aussi pour visiter le festival Quai des Bulles et les Rencontres BD de Bastia. De son côté, le vigneron Richard Leroy lui fait découvrir le travail de la vigne, notamment à travers la biodynamie. Ensemble, ils vont apprendre à mieux connaître leurs métiers réciproques durant plus d'une année.  Étienne Davodeau fait le pari qu'il existe autant de façons de réaliser un livre qu'il en existe de produire du vin. Il fait le constat que l'un et l'autre ont ce pouvoir, nécessaire et précieux, de rapprocher les êtres humains. C'est le joyeux récit de cette initiation croisée que propose Les Ignorants

Il ne faut pas se laisser rebuter par le dessin d’Etienne Davodeau, auteur couronné par de nombreux prix de la BD. Il peut paraître imprécis, et le noir et blanc passéiste. Mais ses camaïeux de gris restituent à merveille les lumières des saisons ou les ambiances. Soutenu par un travail documentaire titanesque, il fait tout autant découvrir le détail du travail du vigneron que celui de l’auteur de BD. Une belle histoire d’hommes et de rencontres racontée avec beaucoup de finesse.– MM


 
* Rural !, d’Etienne Davodeau
Ed. Delcourt – 2001
(Prix Tournesol au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2002)
Cet album de BD est la mise en images d'un reportage quasi-journalistique sur la problématique du monde rural. Il brosse simultanément le portrait d'un groupe de jeunes éleveurs de la région, soucieux de développer une production de lait bio de qualité, et la progression du projet de l’autoroute Angers-La Roche sur Yon,  dans la région des coteaux du Layon.  Les deux projets avancent de concert. Le premier, à l’échelle humaine, avec son lot de difficultés et de succès, progresse dans le respect de la tradition de l’élevage et celui des animaux nourris des produits de l’exploitation. Il illustre un certain succès d’une approche contemporaine de la tradition contre le productivisme à outrance. Le second représente l’inexorable avancée du progrès représenté par ce ruban de bitume destiné à faciliter le trafic routier, mais dont le tracé, objet de multiples compromis politiques, épargne les vignobles des puissants et broie les arbres et les maisons des petits. Notament celle qu’une famille modeste a mis 10 ans à reconstruire à partir d’une ruine. Dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, l’auteur prend le parti des gens modestes à qui on ne laisse guère le choix et qui ne tireront aucun bénéfice de l’aventure.

De la maison du Bignon restaurée après 10 ans de travaux, l’autoroute n’a laissé que le puit et les deux piliers de l’entrée pour enjoliver le bas-côté. Depuis lors, les buissons qui y ont été plantés les masquent de plus en plus, si bien que le temps en effacera le souvenir  comme il gomme peu à peu toute chose. Ce sont encore des histoires d’hommes que propose Etienne Davodeau, certaines plus optimistes que d’autres, mais il en est un fidèle et excellent narrateur, habile à dépeindre les sentiments et les situations. –  MM           



*Les titres précédés d’un astérisque sont disponibles à la bibliothèque.


Prochain rendez-vous :
Vendredi 3 mars à 20 h

Sur le thème «Animal»

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